Dans la fable de La Fontaine, le loup et le chien présentent deux modes de vies opposées : celui du loup, qui est libre et vit à l’état sauvage, et celui du chien, qui est au service de son maître et vit à l’état captif et domestique. Pour ce grand auteur classique, il s’agit de la seule véritable différence entre les deux protagonistes.
Les origines du chien :
Parmi les espèces sexuées, ce qui différencie une espèce d’une autre est la barrière de la reproduction. Pour être de la même espèce, deux individus qui s’accouplent doivent produire une descendance fertile. L’âne et le cheval peuvent se reproduire, mais le mulet sera stérile. Le même phénomène existe dans la nature lorsqu’un tigre et un lion s’accouplent, donnant naissance au ligre ou au tigron, stériles l’un comme l’autre.
Avec le temps, des populations soumises à différents habitats en viennent à un tel point de différenciation qu’elles forment de nouvelles espèces. Il faut bien sûr beaucoup trop de temps pour qu’on puisse noter ces phénomènes dans la nature du vivant d’un homme.
Soumis à des contraintes climatiques et alimentaires différentes, les animaux n’évoluent pas de la même façon. Mais, outre le facteur temps, déterminant, les nouvelles espèces peuvent naitre de croisements inattendus. Par exemple, on sait que le loup, le coyote et le chien peuvent s’ « hybrider » et générer des rejetons fertiles : ils forment de fait une seule et même espèce par définition. Toutefois, les descendants des uns et/ou des autres pourraient engendrer une nouvelle espèce dans plusieurs dizaines voire centaines de milliers d’années.

Reste le cas des sous espèces, qui – encore plus que les espèces – ne suivent pas le modèle d’un arbre généalogique classique, c’est-à-dire avec des branches indépendantes. On sait aujourd’hui que de nombreux croisements, particulièrement au début, se font de façon horizontale, comme si des branches s’étaient soudées.
Charles Darwin pensait que le chien descendait du loup, du chacal et du coyote.
Plus tard, Konrad Lorenz avança l’hypothèse que l’origine du chien provenait du loup ou du chacal doré.
Mais même si ces races se reproduisent entre elles, on retrouve plus de points communs entre le loup et le chien sur les plans culturel et social. De plus, le chacal est moins sociable, a une tête plus étroite et son hurlement est différent de celui des chiens domestiques.
Vers la fin des années 70, la plupart des spécialistes de l’origine des chiens se sont prononcés en faveur du loup à la suite de la découverte en Asie de fossiles de chiens s’apparentant à une variété actuelle de loup de taille moyenne : le loup de Mongolie (canis lupus chanco).
L’arrivée de la génétique a conforté cette hypothèse : le chien descend du loup gris d’Europe, dont il partage l’ADN mitochondrial.
La domestication du chien se serait faite quelque part sur le continent eurasiatique, vraisemblablement entre -40.000 et -15.000 ans. Un « chien » archaïque (-31.000 ans) a récemment été découvert en Belgique alors qu’on a également découvert un spécimen dans l’ouest de la Russie vieux de 15.000 ans environ. Une fois domestiqué, le « chien » se serait répandu sur toute la planète, avec les populations humaines.
Ces premiers chiens étaient sans doute des « chiens de village » et n’étaient pas encore soumis à des sélections artificielles fortes, plus récentes, qui ont créé les races que l’on connaît aujourd’hui.
L’origine géographique de la domestication du loup reste toutefois encore incertaine.
Comme dans le cas des hommes, on peut s’attendre à ce que la diversité génétique de ces chiens de village reflète les mouvements de migration : la diversité génétique d’une population locale est corrélée avec sa distance au point d’origine des grandes migrations (où elle est maximale). Ainsi la diversité génétique humaine est maximale dans le continent des origines, l’Afrique, et minimale dans le continent le plus récemment peuplé, l’Amérique.

Que se passe-t-il pour les chiens ? Les premières études ont montré que la diversité génétique des chiens était très grande en extrême Orient, suggérant ainsi qu’il s’agissait du lieu de domestication. Mais une étude ultérieure, parue en ligne dans les comptes-rendus de l’académie américaine des sciences (PNAS) vient contester fortement cette conclusion, et suggérerait même une origine… africaine !
Le problème essentiel soulevé par les auteurs de cette étude est qu’il y a deux effets qui contribuent à la diversité génétique des chiens.
Le premier est l’effet décrit ci-avant, dû à la diversité génétique de la première migration.
Le second effet trouve son origine dans la sélection récente de races de chiens que l’on connaît.
Les chiens de race portent en effet des marqueurs génétiques spécifiques sélectionnés artificiellement. Lorsque ces chiens de race se reproduisent avec des chiens errants, leurs gènes se répandent dans la population de ces chiens de village. Ils augmentent ainsi « artificiellement » la diversité génétique. On peut donc s’attendre à ce que les chiens errants partout dans le monde présentent un espèce de patchwork de gènes, certains venant de la population de chiens natifs issus de la première migration, d’autres issus des croisements successifs avec les chiens de pure race sélectionnés et amenés plus tard par les hommes.
Il faut donc être très soigneux pour distinguer ces deux types de diversité génétique.
En utilisant comme référence extérieure une population de chiens portoricains, issus uniquement de croisements nouveaux de chiens de race, il devient possible de quantifier dans chaque population de chiens quelle part du génome provient des chiens de la toute première migration (chiens qualifiés de natifs) et quelle part provient du croisement plus récent avec les chiens de race.
Ainsi, et en s’appuyant sur une autre étude, il est apparu que la diversité génétique forte en Asie pourrait être davantage due au deuxième effet (venant du croisement avec les races récemment créées).
Au contraire, dans les populations de chiens africains, il y a relativement peu de gènes provenant des races sélectionnées artificiellement : ces chiens seraient environ à 70% “natifs”. De plus, sur ces chiens natifs, la diversité génétique est comparable à ce que l’on observe en extrême Orient.
Jusqu’à très récemment, il n’y avait pas donc pas de gradient (*) clair de diversité génétique dans le monde, ce qui rend la localisation de la première domestication du chien encore très difficile.
Toutefois, des études récentes de généticiens d’UCLA, dont Robert Wayne, tendent à montrer que nos chiens actuels seraient principalement issus de souches originelles du Moyen-Orient, contredisant les précédentes conclusions partielles.
Enfin, et pour être complet, une étude encore plus récente (janvier 2014) montrerait que les chiens descendraient d’une race aujourd’hui éteinte de loups (PLOS Genetics). L’étude de PLOS Genetics se fonde sur des analyses détaillées des génomes de deux races de chien, d’un dingo d’Australie et d’un Basenji dont la lignée remonte en Afrique. Les génomes pour trois loups vivant dans différentes régions du monde – Croatie, Israël et Chine – ont été également analysés. Pour compléter, les chercheurs ont ordonnancé le génome d’un chacal doré et ont inclus le génome précédemment étudié d’un boxer Européen. Les résultats ont suggéré que le Basenji et le dingo seraient tous les deux descendus d’un même ancêtre de type lupin. Peut-être la lignée de loups ayant donné des chiens est éteinte et n’est pas représentée bien par les loups modernes. Le papier d’ADN mitochondrial antique suggère que la lignée antique des loups proviendrait de l’Europe. Les enregistrements génétiques suggèrent que les chiens seraient passés par une population étroite de type « goulot d’étranglement » après qu’ils aient divergé des loups. Les loups sont passés par un goulot d’étranglement semblable, et cela a peut-être coïncidé avec la période durant laquelle la race du loup qui a engendré les chiens s’est éteinte.

(*) Gradient = taux de variation d’une grandeur physique, biochimique ou physiologique qui dépend d’un paramètre. Exemple : variation de la température en fonction de l’altitude.
Le Chien, un loup spécialisé ?
Tout d’abord, il est à souligner que si les différences morphologiques sont très importantes entre les différentes races de chiens (de 0,5 kg à 3 kg pour un chihuahua et plus de 100 kg pour un mastiff), les loups présentent également des différences morphologiques importantes ainsi que des différences au niveau de leur constitution les rendant adaptés au climat et aux conditions générales de leurs environnements.

La zone de distribution du loup est l’ensemble de l’hémisphère nord, ce qui est considérable.
Entre le loup indien (canis lupus pallipes) ou le loup d’Arabie (canis lupus arabs) d’une part, et le loup arctique (canis lupus arctos) ou le loup de Sibérie (canis lupus albus) d’autre part, il y a des différences d’aspect, de gabarit avec des écarts courants de plus de 30 kg et 25 cm au garrot, ainsi qu’une très importante différence au niveau du poil et du sous-poil ou « bourre ».
Si l’on compare le loup le plus lourd observé dans les Carpates à l’état sauvage (96 kg et 213 cm de long, abattu le 31 décembre 1942), et le plus petit adulte mâle européen il y a un rapport de 1 à 6 au niveau de la masse. Il n’y a pas un loup, mais bien des loups, avec des différences notables entre les sous-espèces. Il y a également des différences significatives entre les individus d’une même sous-espèce.
Certains chiens de type primitif (du groupe 5, dont les Huskies, les groenlandais et les malamutes par exemple) présentent des similitudes morphologiques avec les loups, à savoir de façon non exhaustive :
1) Une structure de poils similaire
2) Des oreilles droites et recouvertes de poils à l’extérieur et à l’intérieur
3) Un arrière train droit (sans tombant ni montant)
4) Une forte dentition
5) Un port de tête identique à celui du loup à l’affût
Mais on peut également noter des différences, même pour les chiens à l’aspect le plus lupoïde du groupe 5 :
1) Les pattes du loup sont souvent plus longues
2) Les pieds sont beaucoup plus robustes : je pratique le traîneau à chiens et je fréquente des meutes de loups depuis des années, et la différence la plus frappante à mes yeux entre des loups et des chiens nordiques est vraisemblablement… la taille du pied !
3) La cage thoracique du loup est plus étroite et plus cylindrique, ses pattes sont plus rapprochées que celles du chien et alignées
4) Les épaules du loup sont très fortes
5) Le loup n’a pas de « stop » frontal
6) Les yeux du loup sont plus inclinés
7) La dentition du loup est exceptionnelle : par exemple, la partie apparente des canines fait très souvent 1cm de plus que celle des chiens de même taille au même âge. Toutefois, un canidé contemporain du loup aujourd’hui éteint, le canis dirus, possédait une dentition bien plus « massive »
8) La démarche du loup est vraiment différente, plus sautillante, avec un trot décontracté d’une très grande endurance
9) Seul le husky sibérien a un port de queue rappelant celui du loup : à position variable selon le message corporel à transmettre, et sans panache systématique (le husky ayant tout de même plus souvent la queue en « faucille » que le loup)
10) Le loup ne souffre pas des tares courantes chez les chiens : dysplasie de la hanche, ergots, …

Le chien et le loup présentent des différences comportementales importantes de prime abord :
1) Comportement sexuel et cycle de reproduction très différents. En effet, le cycle de reproduction des louves diffère aussi de celui des chiennes : il est strictement saisonnier. Il est à souligner que c’est également le cas des mâles loups. De plus, alors que la chienne présente généralement deux oestrus par an (un tous les six mois), indépendants de la saison, les louves sont monocycliques, avec un oestrus par an dépendant de la photopériode
2) En général seul le couple alpha se reproduit chez les loups et une seule fois par an, ce qui n’est pas le cas du chien dont la femelle a d’ailleurs couramment deux chaleurs dans l’année
3) Mimiques faciales beaucoup plus riches chez les loups, et d’une façon générale le langage corporel est plus complexe et précis chez le loup ;
4) Organisation hiérarchique de la meute beaucoup mieux définie chez le loup
5) Aboiement plus rare chez le loup, au profit d’autres modes d’expression
6) Hurlement rare chez le chien (très courant toutefois chez le husky)
7) Comportement juvénile persistant chez le chien
Toutefois, ces différences sont à nuancer.
En effet, pour pouvoir faire une comparaison pertinente, il faudrait avoir étudié les différences constatées en tenant compte des paramètres combinatoires : loup ou chien, état sauvage ou captif, solitaire ou en meute, soit 16 cas d’études.
Or, dans l’immense majorité des cas, les études ont été effectuées en comparant les comportements de loups captifs en meute avec ceux de chiens domestiques solitaires, ou les comportements de chiens domestiques solitaires avec ceux de meutes de loup à l’état sauvage.
Lorsque l’on compare les comportements de chiens féraux, tels le Dingo (canis lupus dingo) ou le chien chanteur (canis lupus hallstromi), on se rapproche dans de nombreux domaines du comportement des loups, et ce malgré un éloignement géographique considérable durant une très longue durée.
Les chiens ont un système digestif adapté à l’amidon, et du lien éventuel avec leur proximité avec les activités agricoles humaines. Elles ont montré en effet que la plupart des chiens ont un nombre élevé de gènes d’amylase favorisant la digestion d’amidon. Cependant, ce n’est pas le cas pour les chiens qui n’ont pas été en lien étroit avec les sociétés agraires, tels que les chiens de traîneau sibériens et les dingos. Toutefois, les chercheurs ont trouvé des gènes d’amylase chez les loups aussi. Pris ensemble, les résultats donnent l’avantage au scénario de chien-compagnon de chasse : les chiens ont probablement commencé comme carnivores, mais se sont graduellement adaptés à un régime avec des féculents quand cela s’est avéré plus utile.